Je crois que pour comprendre le Woo Seok d’aujourd’hui, il vous faudrait le connaître à l’époque de ses études à Busan. Avec ses longs cheveux blonds et ses traits délicats, il se devait de se faire respecter un minimum : il était donc d’une prétention presque exagérée et envoyait bouler pratiquement quiconque s’adressait à lui. Mécanisme de défense assez extrême, me direz-vous, mais il faisait ses preuves… Car très peu de gens connaissaient le Woo Seok véritable, à la limite de la dépendance affective et craignant sans cesse de perdre son monde. Très peu, c’était déjà trop, car oui, certains ont abusé de la faiblesse émotive du jeune Cheong pour le manipuler comme ils voulaient. Ça a fini par le détruire, très lentement… Puis il s’est reconstruit, plus fort cette fois, pour devenir le jeune homme qu’on connaît aujourd’hui.

S’il est toujours froid et un peu hautain, cette fois, ce n’est pas pour cacher un cœur tendre : il s’est endurci et a beaucoup gagné en confiance après de fâcheux événements qui l’ont blessé. Fier et indépendant, il arrive maintenant à avancer dans la vie sans avoir sans cesse besoin que quelqu’un lui dise qu’il l’aime et qu’il ne le quittera pas. Il a appris à penser à lui-même et à ne plus faire passer les autres avant, si bien qu’il peut presque donner une impression égocentrique de sa personne. Très indépendant, il en devient même têtu et ne se fie que sur son bon jugement et son intuition pour prendre ses décisions, ne tenant que rarement compte des conseils des autres… Allant même jusqu’à faire l’exact opposé, seulement pour emmerder un peu.

Plutôt taciturne, vous ne l’entendrez pas souvent : hors de question qu’il parle lorsqu’il n’a rien à dire. En effet, il ne gaspille pas inutilement sa précieuse salive pour dire des inepties sans intérêt et se plait beaucoup dans le silence lorsqu’il n’est pas inconfortable. Gare à vous, cependant, si vous le cherchez assez pour qu’il s’emporte contre vous. Il devient alors capable de vous asperger d’une véritable salve d’insultes les plus meurtrières les unes que les autres et ce, sans mâcher ses mots… Le contraste est étonnant lorsqu’il passe du grand brun silencieux au diable enragé qui ne se gêne pas le moindre du monde pour hurler ses quatre vérités à quiconque le demande. Bien qu’explosif, ce genre de réaction prouve au moins qu’il est franc… C’est le moins qu’on puisse dire !

Un autre de ses traits de caractère court souvent à sa perte : son besoin incommensurable d’obtenir ce qu’il veut, peu importe le prix à payer. Bien que plusieurs considèrent la détermination comme une grande qualité, Woo Seok est pourvu d’un orgueil immense, si bien qu’il en devient presque handicapant. Les deux ensemble forment un duo assez mortel, du genre « je suis prêt à tout pour ne pas perdre la face ». Demandez-lui gentiment quelque chose et il ne portera même pas attention à vous (sauf si c’est une invitation à faire la fête… Ça, il acceptera): lancez-lui un défi, cependant, et il le relèvera comme si son honneur était en jeu. De cette manière, il reste très influençable lorsqu’on met la main sur ce point faible qu’est sa fierté. Il ne se rendra jamais compte du subterfuge s’il est bien déguisé.

J’ai enfin trouvé le courage d’annoncer à Jae Hyuk que j’étais enceinte, et donc qu’il allait être père. Je crois qu’il a bien pris la nouvelle, mieux que je ne l’imaginais : il n’a pas parlé beaucoup, mais ne s’est pas fâché. Dans quelques mois, nous aurons une vraie famille, comme j’ai toujours rêvé d’avoir… Peut-être qu’à ce moment, il arrêtera d’en voir d’autres. J’espère que ça lui donnera des envies de mariage, tiens.

« Désolé ». Il est parti, il est parti et c’est tout ce qu’il a dit. Je n’ai pas exigé autre chose : je ne veux pas entendre ce que je sais déjà. Pauvre idiote que je suis, d’avoir cru qu’il allait changer. J’ai mal. Je ne sais pas comment je vais arriver à élever un enfant, à payer les factures, à survivre. Je veux qu’il revienne, je lui ouvrirai la porte et je m’excuserai.

J’ai trouvé un deuxième emploi dans un café non loin du nouvel appartement. Les propriétaires sont adorables et m’ont prêté un peu d’argent pour régler les frais occasionnés par le déménagement. Je vais m’en sortir. Je pense à lui tous les jours.

C’est un garçon : il est né hier matin. C’est le plus beau bébé du monde. Il a de grands yeux sombres, ceux de son père. Il n’a pas pleuré longtemps, je crois qu’il sera calme. Impossible de ne pas tomber sous le charme du poupon, je l’aime déjà follement. Je ne savais pas du tout quel prénom lui donner, puis une infirmière m’a proposé Woo Seok. C’était comme ça qu’elle voulait appeler son fils… Mais au final, elle a eu une fille. Ce sera Cheong Woo Seok, donc. Peut-être qu’en le voyant, Jae Hyuk changera d’idée…

Ce sera bientôt le premier Noël de Woo Seok. Il ne cesse de m’impressionner : c’est un bébé brillant, il comprend très vite. Il babille quelques mots déjà, c’est adorable… Et surtout, il m’appelle maman. La première fois qu’il l’a fait, j’ai pleuré. C’était des larmes de joie, bien sûr. S’il n’était pas là, je serais complètement perdue.

C’est son premier anniversaire. Avec la routine du quotidien qui s’est installée, je n’ai plus trop le temps d’écrire ici. J’ai fait une petite fête pour Woo, avec son gâteau favori. Ma sœur est passée avec ses deux enfants et son mari. C’était une belle journée, je crois que Woo Seok a aimé. Je vais mieux grâce à lui… Il illumine mes jours.

Je ne veux plus vivre.

J’ai envoyé Woo Seok chez sa tante. Il aura un plus bel anniversaire là-bas.

Je n’ai rien de bien intéressant à raconter depuis la dernière fois. Woo Seok a cinq ans. Je ne le vois plus beaucoup. Travailler me fait un bien fou, j’enchaîne les heures supplémentaires sans problème. Je devrais probablement être plus présente pour mon fils, mais… Je n’y arrive pas. Et puis, il ne pourra pas me reprocher d’amasser de l’argent pour lui. Disons que je prévois son futur.

Déménagement. J’avais oublié ce journal, j’ai mis la main dessus en faisant les boîtes. J’ai décroché un meilleur emploi ailleurs dans la ville, on ne fait donc que changer de quartier. Pour ses dix ans, j’ai emmené Woo Seok à Séoul. Il était très impressionné par la ville, il m’a même demandé d’annuler le déménagement pour venir ici. J’ai dû lui expliquer.

J’ai vu Jae Suk, aujourd’hui. Et j’ai bu un peu plus qu’à l’habitude. Woo Seok l’a remarqué. Je suis une mère horrible. Je vais ranger ce journal, je ne veux plus y écrire.

Il me l’a dit. Woo Seok me l’a dit, « maman, tu n’es qu’une alcoolique ». Je ne voulais pas ruiner son anniversaire… Je ne voulais vraiment pas…

Tout cet argent que j’ai amassé au fil des ans pour Woo Seok, je le lui ai donné aujourd’hui. Il m’a annoncé hier qu’il aime les hommes. Je n’arriverai plus à le voir tous les jours en sachant ça. J’aime mon fils, mais… C’est plus que ce que je peux supporter. Il veut aller à l’université de Busan… En psychologie, je crois. Tout ira bien pour lui. J’espère qu’il soignera les gens comme moi.

Je n’ai plus de nouvelles de mon fils. Il me manque. Je vais arrêter de boire pour lui, puis j’essaierai de reprendre contact. Il sera fier de moi et m’aimera de nouveau.

Woo Seok est revenu, mon ange est revenu. J’ai pleuré pendant au moins une heure : il s’est contenté de me serrer dans ses bras. Ça fait huit mois que je suis complètement sobre. Je lui ai dit que j’avais fait ça pour lui et il a souri. Son sourire me manquait. Il m’a raconté ce qui s’était passé depuis son départ. Il avait un copain, apparemment un garçon très gentil, et ce, depuis bien avant l’université. D’ailleurs, à l’université, tout allait bien, jusqu’à ce qu’on se mette à répandre de fausses rumeurs à son propos… À partir de ce moment, les gens en ont eu après lui pour aucune raison et il n’était pas rare qu’on s’en prenne à lui. Il m’a dit avoir changé aussi à cette période… Disons qu’il s’est laissé aller. Il a quitté son copain pour un autre, et c’était loin d’être sain comme relation. Mais il a été bref à ce sujet et je crois que c’est mieux comme ça, certaines choses sont faites pour demeurer personnelles. Bref, Woo a arrêté l’université. La psychologie ne l’intéressait plus, les études tout court ne l’intéressaient plus. Il est venu pour m’annoncer qu’il part vivre à Incheon, histoire de laisser tout le négatif derrière lui. Qui serais-je pour le retenir ? J’espère qu’il sera heureux, là-bas. Il le mérite… Il mérite tout le bonheur du monde.