Les jours se suivent et se succèdent. J'aime l'été car il fait chaud, que les hommes sont moins vêtus et que c'est parfait pour se rincer l’œil. De nouvelles rencontres, des touristes de passage, c'est appréciable de pouvoir enrichir sa culture, de rêver de pays dans lesquels je n'irai jamais car mon salaire ne me le permet pas. Au travail, je n'ai pas le temps de m'ennuyer. La journée en général, je dors une grande partie. Si j'en ai l'occasion, je m'arrange pour aller au cours de danse deux fois par semaine. Dire qu'avant c'était tous les jours... Au début j'ai eu du mal à m'y faire, seulement je n'ai pas eu trop le choix. Il m'a fallu couper les ponts avec mes mauvais souvenirs, me remettre de ma dernière rupture qui m'a valu de longs moments de déprime jusqu'à ce que je décide de tout quitter pour venir à Incheon. Avoir de nouveaux amis m'a fait du bien, mais la danse me rappelait trop Mikhaïl, je ne me serais pas vu continuer à en faire mon métier. C'est ainsi que j'ai choisi une activité totalement différente: serveur dans un bar, le Black Sugar. Cela me plaît carrément, je suis dans mon élément, mes collègues sont sympa, le patron aussi.

Il y a deux semaines, j'ai fait une grosse connerie sous les méfaits de l'alcool. J'ai cru avoir ramené chez moi un super coup, le lendemain au réveil j'ai découvert que c'était mon ex. L'horreur... Il m'a super mal parlé et est parti en m'insultant presque. Le culot. En tout cas, je n'avais pas envie de savoir qu'il était de retour en Corée, encore moins à Incheon. Non mais sur toutes les villes de ce pays, il a fallu qu'il choisisse celle-ci quoi... Depuis je ne l'ai pas revu, je continue ma vie, sans lui, ce qui était son choix il y a deux ans. Une chance que j'ai Kath, nos soirées démentes me changent les idées. C'est d'ailleurs avec elle que je suis sorti ce soir, un nouveau bar avec des serveurs dignes de ce nom, des beaux mâles à mater comme elle dit. C'est vrai que certains valaient le détour, pourtant je n'ai tenté de draguer aucun d'entre eux.

Puis nous avons partagé le même taxi qui vient de me déposer au coin de ma rue. En avançant, je vois un type assis juste à côté de la porte, contre le mur. Ma première pensée est de me dire qu'il doit être ivre. Dès que j'aperçois son visage, je le reconnais direct. Il m'a aussi remarqué, donc il se redresse. C'est mon ex qui se met à parler le premier. Il me faut m'immobiliser le temps qu'il cause, je ne peux rien contre mon visage qui traduit mieux que moi que je ne suis pas ravi de le voir, surtout après la dernière fois. Aucun sourire sur mes lèvres, mon regard est un peu dur.

"C'est peu dire..." Dis-je en parlant de son culot.

Les excuses c'est le minimum. Il n'est pas sensé savoir que je n'ai envie de pardonner ni la dernière fois, ni comment il s'est barré en me laissant une lettre à la con un matin il y a deux ans de cela. En effet, je me demande ce qu'il peut bien foutre là. Qu'est-ce qu'il est devenu bavard aussi... Je préférais la version minimaliste. Tiens donc, la personne qui l'hébergeait l'a fichu dehors. Ça me surprend pas plus que ça vu son caractère, je vois direct où il veut en venir mais je le laisse patauger. Le connaissant, sa fierté doit être en train de se suicider en sautant d'un pont. Cette scène m'en rappelle une autre, détail que je déteste fortement. Alors que je continue de le fixer, il baisse les yeux. Au final, son caractère reprend le dessus, le voilà qui fuit à nouveau. Irrécupérable.

"T'as pas un peu fini ton cinéma? Tu n'es pas là pour décrocher un oscar ou sur les planches d'un théâtre que je sache." Je secoue la tête, il est toujours aussi fatiguant. "Tu ne peux pas en venir au fait au lieu de raconter ta vie qui ne m'intéresse pas le moins du monde?" Mon regard ne le lâche pas. "Tu savais très bien en venant ici que je ne te laisserai pas dormir dehors, alors cesse de faire celui qui a le choix car on sait tout les deux que tu ne serais pas là si c'était le cas."

Que ce soit bien clair, cela ne m'enchante pas du tout de devoir supporter sa vue après ce que j'ai du traverser à cause de son égoïsme. Mais il sait que je ne suis pas un enfoiré, que j'aide volontiers les autres car j'ai toujours fait ça, on m'a appris dans l'orphelinat dans lequel j'ai grandi à être généreux. Je passe à côté de Mikhaïl et ouvre la porte de mon immeuble, le faisant entrer avec moi. Pendant que je traverse le hall, je donne des précisions.

"Si je t'aide, c'est parce que mes valeurs m'obligent à le faire. Je n'ai pas le choix non plus. Ce sera pour quelques jours le temps que tu te trouves autre chose et tu dormiras sur le canapé."

Il était un temps où je l'aurais obligé à dormir avec moi. C'était l'époque où j'étais encore fou amoureux et naïf. A présent, les choses ont changé, je suis devenu un adulte qui a décidé de ne plus jamais se faire prendre pour un con par qui que ce soit. Depuis deux ans que je suis ici, je n'ai pas eu de relations sérieuses, elles ne sont pas pour moi puisque à chaque fois, je me fais larguer. Je monte les escaliers jusqu'au premier étage, ouvre la porte de mon appartement qui n'est pas luxueux. Un salon, une chambre, une salle de bain et une cuisine, un petit balcon aussi. La déco est assez sobre. Je ferme la porte derrière nous, allant jusqu'à la cuisine me chercher à boire. J'espère qu'il ne va pas mettre milles ans à se trouver un appartement.
 

Alors me voici en train d'ouvrir mon immeuble, suivi par le futur squatteur de mon appartement et monter les escaliers. Ma phrase n'avait pour but que de bien lui faire comprendre que le passé était le passé, qu'il n'aurait plus les traitements de faveur et le confort que je lui avais donné à l'époque. Bien entendu, son caractère ne l'a pas rendu silencieux assez longtemps, mon ex finit par se sentir obligé de l'ouvrir.

"Si tu insistes, ce sera sur le balcon que tu vas passer tes nuits." rétorquais-je aussi sec.

L'expression qu'il emploie est totalement avérée. Je compte bien sur le fait que ça ne durera pas. Chez moi, c'est mon refuge, l'endroit calme dont j'ai besoin et où je souffle, où je prends le temps de me poser et de réfléchir. Enfin, je peux dire adieu à mon salon.. Au moins, dans l'histoire, il a la décence de dire merci puis d'enfin se taire à nouveau. Dans mon appartement, j'enlève mes chaussures, ma veste, puis je me rends dans la cuisine me servir un verre d'eau que je bois d'une traite. Le verre dans l'évier, je ne fais pas trop attention à mon ex qui visiblement essaie encore de communiquer. Mon regard se repose sur lui, il me pose de nouvelles questions. Celle sur les affaires me fait me diriger vers le meuble dans le salon. Je fais de la place rapidement d'un côté.

"Tu n'as qu'à les mettre ici."

Après je lui fait signe de la tête de me suivre dans l'appartement à mesure que je donne les explications, lui montrant la salle de bain, les toilettes, la porte de ma chambre que je n'ouvre pas, ça ne le regarde pas à mes yeux. Ensuite, de nouveau dans le salon pour répondre aux restes.

"En général, je pars travailler vers dix-sept heures et je ne rentre que vers cinq heures du matin. Il n'y aura donc aucun problème pour la clé." Ma voix est aussi indifférente que mon regard. "Tu es prié de ne pas faire trop de bruits quand tu te lèves. Si tu termines quelque chose dans le frigo qui est à moi, rachètes-en. Tu peux aussi prendre une étagère si tu as besoin de stocker de la nourriture. Quant à la clope, tu es prié d'aller sur le balcon."

Il me dit qu'il est crevé, ce n'est pas comme si j'avais l'intention d'épiloguer. Je vais néanmoins dans ma chambre récupérer des draps, une couverture et un oreiller que je dépose sur le canapé, qu'il se débrouille avec tout ça. Dans la salle de bain, je sors du petit placard des serviettes dont il pourra se servir, je ne suis pas certain que dans son paquetage il en ait. Ensuite je retourne dans la cuisine me préparer un en-cas, j'ai faim. Le peu d'alcool que j'ai bu m'a creusé l'appétit. Silencieusement, je me fais des petits sandwichs avec différents accompagnements à l'intérieur. Je n'ai aucune idée de ce qu'il peut bien faire, n'empêche que je n'aime pas devoir faire face à ce passé que j'ai tant tenté d'oublier, que j'avais réussi à reléguer tout au fond de ma mémoire tout en étant certain qu'il ne referait plus jamais irruption dans ma vie. Et regardez le résultat, le responsable n'est qu'à quelques mètres de moi. La vie est trop ironique à mon goût.

Lorsque c'est prêt, je m'assois à table afin de me rassasier, buvant un jus d'orange cette fois. Je pense au programme qui m'attend demain. La journée va être longue, en plus je dois venir plus tôt au Black Sugar, un des autres serveurs qui était prévu pour faire l'ouverture est malade, j'ai donc sauté sur l'occasion de faire des heures en plus. Chaque won en plus est un petit pas vers mon objectif. Il faut que je réfléchisse à l'organisation aussi. Bref, j'engloutis mon dernier sandwich, nettoie l'assiette puis la met à sécher sur l'évier. Ensuite je m'apprête à me retirer dans ma chambre mais mon bon cœur me fait l'interroger une dernière fois.

"Tu as d'autres questions où je peux y aller?"

J'espère sincèrement qu'il n'en a aucune, j'ai assez donné niveau compréhension à son égard. Je me serai bien posé devant la télé comme j'aime le faire, seulement je dois cohabiter et le laisser dormir s'il est réellement mort. Il a de la chance que je ne sois pas belliqueux ou violent, sinon les choses se seraient bien plus mal passées. Physiquement, il n'a pas  trop changé, à part qu'il a l'air d'avoir plus de muscles et son visage fait moins gamin qu'à l'époque. Je me demande s'il a continué le ballet et ce qu'il peut bien foutre en Corée Monsieur je préfère retourner dans mon pays en abandonnant tout derrière moi. Mes bras se croisent sur mon torse, ce n'est pas comme si j'avais que ça à faire d'attendre qu'il me réponde. Enfin, quand je vais raconter ça à Kath, elle ne va pas en revenir et sûrement me prendre pour un dingue. Déjà qu'elle s'était bien fichue de moi en apprenant que j'ai couché avec mon ex un soir trop bourré et que le réveil le lendemain avait été épique. Là, je pense avoir touché le fond niveau vie sociale. En tout cas, j'ai qu'une hâte, c'est qu'il se barre, alors qu'il n'est pas resté encore une seule nuit.