Incrédule, je fixe le tronc d'arbre tombé sur ma voiture. Me questionnant quand et comment ça s'est produit. En donnant un coup de pied contre le pneu du véhicule, qui n'est plus qu'un énorme morceau de métal inutile, je soupire bruyamment. Qui plus est, j'avais encore oublié de recharger mon téléphone et me retrouve dans la galère, sans GPS, à tourner en rond dans cette maudite forêt après que mes collègues soient partis. A la base, on était venus enquêter sur un vol d'objets qui valent une vraie fortune. On les avait laissés sans surveillance dans un temple qu'on croyait bêtement protégé "par les esprits". Quand je suis arrivé, on m'a interdit de rentrer dans ce lieu sacré avant la venue d'un prêtre parce que j'aurais besoin qu'il m'obtienne la permission de ces esprits. Je les avais ignorés, ai fait mon boulot tout en disant ironiquement qu'on a un suspect : les esprits méchants. Résultat : je me suis fait maudire par le prêtre dès son arrivée, pour avoir démoli un endroit sacré et parce que je respecte rien.

Ça m'a laissé indifférent, jusqu'à ce que je constate que ma voiture a été dégradée, qu'il y a personne dans les alentours et que mon portable est inutilisable. Suis-je vraiment maudit... ? Bordel de merde.

C'est ainsi que je me retrouve à tourner en rond dans la forêt, depuis une heure. Je marche, je marche, sans savoir où je suis. Néanmoins, en entendant un bruit de pas derrière moi, je me rends compte que je suis pas seul. Ne sachant pas sur qui je pourrais tomber, je reste sur mes gardes, et aperçois enfin une tête familière. Mon coeur bat moins vite. Je regarde ailleurs en soupirant avant de scruter la nouvelle venue, vraiment surpris de la voir ici. « Je te rappelle qu'il faut éviter de surprendre une personne qui a une arme à feu. » dis-je, énervé. J'ai l'air bien moins calme que d'habitude. Je soupire puis m'approche d'elle. « Qu'est-ce que tu fais ici ? Toi aussi t'es maudite pendant quatre décennies ? » je demande en me rappelant ce que le prêtre m'avait dit, ne me souciant pas du fait que je sois pas très cohérent. Le visage impassible, j'ajoute, sans me rendre compte que je parle pas mieux qu'un gamin désespéré : « Non, en fait, t'as pas à répondre à ma question. S'il te plait, dis-moi juste que tu peux me ramener chez moi. »

Non ça va pas fort, mais j'ai quand même l'air d'aller mieux que mademoiselle. Mon regard se pose sur ses chaussures avant de se plonger dans le sien. Je garde toute remarque ironique sur son sens d'observation pour moi, n'ayant pas envie qu'elle me prenne la tête alors que ça fait un moment qu'on s'est pas vus. L'état de ses chaussures laisse présager une mauvaise réponse. « A moins que tu saches fabriquer une voiture avec une lampe de torches, des conserves et des bonbons, non, je ne peux pas te ramener chez toi, grand malin. » Avec ma chance habituelle, il aurait pas pu en être autrement en fait. Il y a aucune porte de sortie hein ? Etant déjà passé par l'étape "désespérer", l'information ne me choque pas plus que ça. « Non, mais on m'a appris à fabriquer des oreillers avec des fleurs quand j'étais un scout. » Répondre au sarcasme par du sarcasme, j'ai toujours aimé ça. Même si, en l'occurrence, je ne dis que la vérité.

La liste du contenu de son sac me fait sourire, et même au risque de me manger une tarte dans la tronche, accompagnée d'un "j'ai pas besoin de toi, espèce de gros macho", je désigne l'objet de mon index et dis calmement : « Laisse-moi porter ça. » Je l'observe en silence, apparemment elle est fan du camping mais elle a l'air d'avoir oublié quelque chose, ou quelqu'un. « J’ose te demander où est ta voiture ? » Il fallait pas espérer qu'elle nous soit utile. « Sous un arbre, et selon mes estimations, très loin d'ici. Mais j'ai une bonne assurance auto. Un conseil : ne mets jamais un prêtre en colère. »

Je marche tranquillement, espérant secrètement qu'elle reste avec moi, un peu de compagnie ne fait pas de mal. Quelques arbres plus loin, je crois halluciner en voyant un gosse de tout juste six ans "faire pipi", le pantalon baissé. Personne ne lui a appris que les buissons, ça peut servir à ne pas montrer ses petites fesses à tout le monde dans ces cas-là ? Il se tourne, écarquille les yeux puis commence à courir. « Il a une aaarme ! » Je crois que mes oreilles saignent. Quel boulet. Il a remarqué le flingue, mais la plaque accrochée juste à côté est invisible. Je secoue la tête avant de presser le pas. « On le suit ? Vu son uniforme, il peut pas être seul ici. »

Je recule d'un petit pas quand elle me donne le sac puis le mets sur le dos, en l'observant du coin de l’œil se masser l'épaule, amusé. Au moins, elle reconnait que je suis gentil. «  Je ne sais pas ce que tu as fais encore, mais ça dépasse l'entendement...  » Je la regarde un moment, analysant la situation dans ma tête mais ma conclusion est toujours la même : en l'occurrence, mon problème, c'est de ne pas être superstitieux, de ne pas croire que passer sous une échelle, croiser un chat noir, tout ça, est mauvaise augure. «  Non mais, il avait pas à s'énerver. Un temple est un lieu sacré pour lui, une scène de crime est tout aussi importante pour moi. » Pour le coup, j'avais vraiment rien fait de mal. Ces fameux "esprits" étaient censés protéger le temple, ils ont pas fait leur boulot, alors qu'on m'empêche pas de faire le mien.

A peine ai-je finis de le penser et de me détourner de Yoo Jin, que je me cogne la tête contre un tronc d'arbre surbaissé et grimace de douleur. Je soupire ensuite, l'air de dire "aucun commentaire" et entame la marche. Je vois mieux pourquoi elle est dans cette maudite forêt, mais il y a des choses que je comprends pas bien. « Quelle personne sensée se rend en plein nature avec des conserves ? » J'hausse un sourcil avant de sourire, à moitié sérieux et l'embêtant gentiment. S'ils sont venus faire du camping, il vaut mieux faire les choses bien.

«  Cache ton arme d'abord, ça t'évitera d'en traumatiser d'autres, sait-on jamais.  » Je lance un regard furtif vers l'objet en question avant de la regarder, souriant.  C'est hors de question, elle servira aussi à en effrayer d'autres si besoin. «  On dirait que tu vas pouvoir apprendre à ces petits à faire des oreillers de fleurs, ça les intéressera peut-être ? Avec un peu de chance, ils ont deux tentes en trop.  » Peu content d'entendre le début de sa phrase, je grimace. « Avec ma chance, ils ont une seule tente de trop. » Pour elle, évidemment. Galanterie oblige. J'observe les enfants d'un oeil amusé, quand soudain le petit de tout à l'heure débarque. «  T'es venu pour nous gronder avec ton arme ? C'est le moniteur qui t'a appelé ? » Sa mère doit le laisser souvent seul devant une télé. Je pose ma main sur sa tête et lui ébouriffe gentiment les cheveux en souriant. « Bien sûr que non. » Je m'agenouille pour être à sa hauteur. « Dis-moi petit soldat, où est... » pas le temps de terminer ma phrase, un homme cache le garçon derrière lui, je me lève, surpris par son air hostile.

Il fixe mon arme pendant que je lui explique la situation puis dit qu'il peut pas nous aider. Heureusement que ses yeux tombent sur Yoo Jin, ses traits s'adoucissent. « Bon, vous pouvez quand même rester... » je le regarde s'approcher d'elle en roulant les yeux pendant qu'il lui confie : «  Mais arrangez-vous pour qu'il ne tue personne. » Vraiment drôle, à mourir de rire. Il a pas trouvé mieux pour faire la conversation avec elle qui lui plait, apparemment ?

Mon regard se retrouve à fixer le ciel, me dire que c'est juste une sale journée hein ? Vu que j'ai mis les esprits de mauvaise humeur, je vais devoir m'y faire à ces sales journées pendant longtemps. «  T'as jamais entendu parler des raviolis au feu de bois ?  » J'aurais pu éclater de rire, mais je reste calme et la gratifie d'un petit sourire. «  Non, c'est sûrement une invention des gens insensés dont on vient de parler. » C'est comme les gens qui remplissent leurs sacs de produits anti-moustiques. On aime pas la nature ? Alors on reste dans la civilisation et monte une tente dans son jardin, à quelques mètres du frigo. Ouai, c'est comme ça que je vois les choses, moi.

Le moniteur refuse de nous aider, et alors que je suis sur le point de lui dire pourquoi il est obligé de le faire, l'imbécile retrouve sa générosité après avoir vu Yoo Jin. «  Il n'est pas le plus dangereux des deux, si je peux me permettre. » Il semble pas prendre sa menace au sérieux, douce erreur. C'est sûrement parce qu'il sait pas pour quel métier elle a opté. D'ailleurs, les informations courent vite ici, comme dans un petit village. C'est ce que je constate lorsqu'une fillette vient me voir, je hoche la tête en souriant mais perds mon sourire cinq secondes plus tard. « Ne le raconte surtout pas à ton papa, hein ? » je propose, sachant pourtant qu'il faut que monsieur apprenne la vérité, mais la fille, elle a pas à se mêler de ça.

« Je crois que la soirée va être longue, très longue.  » Je soupire, je suis pas plus motivé qu'elle. « Pourquoi il m'a l'air d'être encore plus insistant que Baek Tae Woo lui même ?  » Je suis son regard pour comprendre de quoi elle parle puis hoche la tête, sans quitter le jeune homme du regard. « Je comprends, il s'en faut de peu pour que j'ai sa mort sur la conscience. » D'ailleurs, il est hors de question que je reste ici. Je m'approche d'une table et commence à fouiller, trouvant enfin un portable qu'il me prend des mains aussi rapidement. « Vous savez que voler les affaires des autres est un crime, non ?  » Je roule les yeux à sa menace, comprenant qu'il veut juste faire en sorte que Yoo Jin reste. Je reprends possession du portable. « Evidemment que je le sais, je suis flic.... merde, pas de réseau. »

Je le laisse fumer intérieurement et commence à marcher, contemplant les lieux. Il semble qu'on est bien coincés ici. La fillette revient me voir. « Diiites, c'est votre amoureuse ? » Elle pointe Yoo Jin du doigt, je souris et hoche la tête. Un "ouaaah" sort de la bouche de mon interlocutrice. « Mais pourquoi vous lui faites pas de bisous ? » Ok, il semble que la pauvre a dû voir sa maman et monsieur le policier en action. « C'est... elle qui veut pas m'en faire. » Ensuite, j'observe la petite faire une sorte de réunion de crise avec ses copines et aller voir Yoo Jin ensemble. « Mais si c'est votre amoureux, vous devrez lui faire des bisous, sinon comment vous voulez avoir des bébés ? » Je me détourne tout de suite et commence à m'éloigner avant qu'elle devienne violente, ou pire encore, qu'elle se décide à me "faire un bisou".

« Laisse moi m'occuper de ça, les lourds je connais. » Entendu. Je croise les bras, j'aime les gens qui ont de la répartie. J'ai bien saisi le sous-entendu, mais je vois pas pourquoi elle voudrait s'occuper elle-même de lui. Les énerver, et leur faire du charme parfois, là s'arrêtent mes compétences auprès des femmes. Je n'essaie plus de les comprendre. D'ailleurs, je ferais mieux de ne pas blaguer avec elles non plus, ma plaisanterie n'a pas l'air de l'amuser. Craignant que ça ne fait que grimper en flèche l'énervement de la jeune femme, je m'éloigne mais elle me rattrape bien vite, et je sais que je vais pas tarder à me manger une tarte dans la tronche. «  Oh non, pas à moi mon grand.  » Je la laisse me tirer derrière la tente sans protester, faisant plutôt profil bas. «  Viens-là toi.  » Je me baisse un peu, les sourcils froncés, ne voyant pas l'intérêt de se cacher. «  Alors comme ça, je te fais pas de bisous hm ? T'as quel âge, tscht.  » Je souris, me gratte un peu la nuque comme pour m'excuser, puis me penche un peu en avant et murmure : «  Pourquoi on parle tout bas ? »

Je me retourne aussitôt pour voir ce qui l'a surprise, ah, le moniteur. « Tout va bien ici ? » Silencieux, je me redresse et mes yeux tombent sur les filles espionnes, qui ont trouvé dans notre relation imaginaire une affaire à suivre. C'est pour ça qu'on s'était cachés et qu'on parlait tout bas, elle leur avait fait croire qu'on faisait des cochonneries derrière la tente... je secoue la tête, amusé, puis commence à me balader entre les tentes avant qu'il revienne me barrer le chemin. Il me balance deux grandes bouteilles d'eau dans les bras, vides. «  Il y a une rivière non loin d'ici, rends-toi utile. » Mes yeux grossissent, il est sérieux là ? Bon, puisqu'on va nous laisser passer la nuit ici, la moindre des choses serait de leur donner un petit coup de main.

Je suis pas con, cela dit. Je vois bien pourquoi il veut se débarrasser de moi, quand il se dirige vers Yoo Jin, je soupire. Et comme je n'étais pas suffisamment agacé comme ça, les filles reviennent me parler de l'art d'embrasser quelqu'un, bon sang, qu'est-ce qu'ils leur apprennent à l'école ?
Je leur confie le sac de Yoo Jin puis m'empresse de la rejoindre, dépose une bouteille devant elle, puis lui fais signe de se lever. «  Viens, on a deux bouteilles à remplir et mes frêles épaules me permettront pas de les porter tout seul. » Le petit garçon à ses côtés attire mon attention : «  Qu'est-ce que tu lui as fait ? »

«  Je vais t'aider c'est bon, arrête d'en faire tout un plat.  » La bonne réponse aurait été un "merci", mais il faut en tenir une grosse couche pour espérer qu'elle mesure toute la générosité de mon geste. «  Je ne lui ai rien fais du tout. Il ne se plaît pas ici et il est venu m'en parler... Tu crois qu'on peut demander à se faire payer ?  » Je lui lance un regard qui veut tout dire et me contente de cette réaction. Mais j'ai presque de la peine pour le garçon, si le moniteur faisait plus d'efforts pour l'intégrer, et moins pour draguer une femme qui n'a pas l'air intéressée, le gosse se sentirait peut-être plus à l'aise avec ses camarades.

«  Pourquoi ça t'agaces tant qu'il me drague ? Ou tu fais juste ça pour m'aider car justement ça m'agace ?  » Occupé à remplir la bouteille, je fais pas attention à Yoo Jin et sa question me surprend au point où l'objet échappe à mes mains et finit un peu plus loin dans l'eau. Pourquoi faut-il que les femmes cherchent un sens caché à tout ? Elle peut pas juste me remercier ? Je la regarde, blasé. «  A quoi ça sert de me poser une question dont tu connais la réponse ?  » je réponds, lui indiquant clairement qu'effectivement, je l'aide parce que ça l'agace. Si monsieur lui plaisait, je serais sans doute resté en dehors de tout ça.

Il n'y a pas une raison profonde à mes interventions, pas du tout. C'est aussi idiot que l'histoire du prêtre, en fait. J'essaie de récupérer la bouteille, et comme si j'avais encore réussi à m'attirer les foudres des esprits, je sens une pression sur mon dos et finis maladroitement par rejoindre ma bouteille dans l'eau froide. J'ose même la qualifier de glaciale, tellement je sens plus mes pieds. Franchement, je vais vraiment finir par croire que je suis maudit, j'ai même pas senti ces petits diables s'approcher. Quelle honte. «  Tiens, attrape ma main, je vais t'aider. On dirait qu'on est tombé sur une sacré colonie...  » Je soupire, gardant bien leur visages en tête, avant d'attraper le poignet de Yoo Jin. « J'ose espérer que la rivière est pas polluée, au moins. »

J'enlève ma veste et remplis vite fait la bouteille, un frisson longeant mon dos en même temps. Je reviens sur sa remarque. « Je te jure, si c'était pas des gosses... » Ils s'en seraient pris plein la gueule. De retour dans le campement, j'attends patiemment que le moniteur finisse de rire pour lui demander  s'il a des vêtements de rechange quelque part. C'est qu'il faut s'armer de patience avec des imbéciles comme lui. Quand il va m'en chercher, je regarde les gosses de tout à l'heure dans les yeux, un à un, souriant. « C'était vraiment très drôle, et une super idée de faire une mauvaise blague à un flic qui peut facilement trouver vos adresses et les numéros de téléphones de vos parents. » J'ai pas que ça à faire, mais leurs regards terrifiés sont satisfaisants.

Le moniteur me fait signe de le rejoindre dans une tente, j'en ressors habillé... comme lui, en fait. Comme un vieux scout. « Ne fais aucun commentaire. » je dis à Yoo Jin, espérant que mes vêtements sécheront assez rapidement.

« C'est vrai ça, c'est idiot. Pourquoi je demande ? » J'ai la sensation d'être retourné au lycée, où l'on m'a fait entendre ce genre de phrases assez souvent. En ce qui concerne les relations humaines, il y a vraiment beaucoup de choses qui m'échappent, alors je préfère ne pas y réfléchir. « Tu n'as pas envie de savoir, crois-moi.  » Je soupire et murmure un "merci", avant de revenir au campement. Malheureusement, je suis pas au bout de mes peines. Non seulement, je suis habillé comme l'autre imbécile de moniteur, mais celui-ci s'autorise également à s'en moquer, heureusement que Yoo Jin est trop occupée à réinstaller une certaine distance entre eux pour rigoler.

«  Tu as eu combien de badges au juste quand t'étais scout ? Je suis certaine que tes oreillers de fleurs font que t'es un sunbae ici, non ?  » Bon bah, elle a quand même trouvé le temps. Mon regard se pose sur sa main puis sur son visage. « Plus que lui, en tout cas. » dis-je, comme si c'était une compétition. Je me souviens plus vraiment de quand j'étais scout, mais je sais encore que mes camarades étaient beaucoup moins désagréables que ces gosses. Et moins curieux que celui qui vient remettre en cause la compétence des flics. Je souris en entendant la réponse de Yoo Jin puis tapote la tête du petit. « C'est facile pour ton père de critiquer le boulot des autres, quand il est avachi dans son lit pendant que ces agents incompétents sont sur le terrain, prêts à se prendre une balle pour qu'il puisse dormir tranquillement. »

Puis on a le droit de passer quelques heures sans "être en train d'enquêter" quoi. Ça m'énerve limite, ce genre de jugement. Je m'assieds sur le tronc d'arbre et soupire, il fait déjà nuit, on aura plus que quelques heures à endurer. On fait griller du poisson au-dessus du feu de camp, et un des petits diables de tout à l'heure m'en donne un. « C'est pour me faire pardonner, monsieur. » Dix secondes plus tard, la sensation piquante me fait comprendre qu'ils doivent avoir de la sauce chili quelque part. Je soupire en voyant le gosse se marrer un peu plus loin, et confie à Yoo Jin : « On devrait le surveiller... je te jure, ces mauvaises blagues sont un boulevard vers le crime, dans quelques années il sera un vrai gangster. » Moi ? Exagérer ?

« Bon, c'est l'heure de raconter une histoire, et je suis sûr que nos deux invités en ont pas mal. » Sachant où le moniteur veut en venir, je désigne Yoo Jin d'un mouvement de la tête. « Elle veut commencer. »

« J'avoue que j'ai joué de sales tours à certains, mais jamais sans raison. » Ce qui ne met pas le Ki Tae de 8 ans, dans le même panier que cette poignée de petits diables. J'ai quand même réagi assez calmement, me retenant même de les menacer, de leur dire par exemple que j'espère que leurs parents aiment porter du noir, tout ça. « Vu comment tu parles, on dirait que toi, t'étais un ange. » Ce dont je doute fortement, vu son caractère.

«  Pardon ?  » Avant que je ne puisse en rire, je me replie un peu sur moi-même et grimace, il fallait s'y attendre au coup dans les côtes. Je prends une longue inspiration et me concentre sur son histoire ensuite. «  Je ne connais pas beaucoup d'histoires..... Mais il y a celle-ci ! Il y avait un méchant roi, incapable de reconnaître les efforts de ses sujets à leurs juste valeurs. Un jour ; une révolte, le peuple a tout fait pour lui prouver qu'il avait tort, car même quand ils faisaient des choses désintéressées... Il trouvait quand même à redire, c'est fou non ?  » Comme ça m'étonne pas d'elle, je secoue juste la tête mais je suis moins indifférent à la suite. Elle déclenche une hilarité générale, je dois être le seul à avoir compris mais qui ne ris pas.

« Que c'est drôle. » je dis nonchalamment, contrarié. Toujours victime d'un fou rire, le moniteur me dit que c'est mon tour, je reste muet. Etant pas d'humeur pour inventer un scénario digne d'un téléfilm pour ménagères, et à court d’imagination pour une histoire funky. « Vous pouvez nous dire pourquoi vous êtes devenu policier. » intervient la petite fille de tout à l'heure. Je réfléchis un instant. « Eh bien... je n'étais pas fait pour les études, pas du tout même. Je croyais que la guerre froide avait eu lieu au Pôle Nord. » Je ris, mais c'est de la vérité vraie. « Et quand le besoin d'argent commençait à se faire sentir, je savais que je devrais choisir entre le bon côté de la loi, et le mauvais. J'ai jamais rien regretté en tout cas. »

Le moniteur qui a retrouvé son calme semble pas aimer ce que je dis, il passe à autre chose. « C'est bientôt l'heure de dormir, vous serez logés par deux mais vous pouvez choisir votre coloc de tente. » Il regarde Yoo Jin, et je comprends vite où il veut en venir. « C'est le meilleur moyen de mourir jeune. » je murmure en me relevant, je préfère ne pas intervenir, sinon on va encore croire que ça m'agace de les voir ensemble.

Désintéressé, je regarde les binômes se créer. Je me fiche de la personne qui dormira à mes côtés, ne risquant rien, même pas d'être harcelé sexuellement comme Yoo Jin. Je garde d'ailleurs un oeil sur le moniteur qui, sans surprise, essaie de s'arranger pour passer la nuit à quelques centimètres de la jeune femme. Je ne sais dire en quoi cette perspective est désagréable mais préfère rester en dehors de ça avant qu'on parle d'une hypothétique jalousie.

Je me sens mal pour le petit Pil Sang dont on arrive même pas à retenir le prénom, ce moniteur est vraiment un peu glandu. « Tu vois Pil Sang ? Il veut s'occuper de toi, tu n'es pas tout seul ! C'est la classe de dormir avec avec le chef de file ! Non ? Tu en as de la chance ! Moi vu qu'il n'y a pas d'autre tente, je vais dormir avec Ki Tae....  » J'écarquille les yeux, et tourne la tête de 90° d’un coup rapide pour rencontrer son regard. On a mis de la sauce piquante dans mon poisson et de l'alcool dans le sien ou quoi ? «  Pas vrai Ki Tae ? Hein.... ?  » Je ferme les yeux en soupirant, ne comptant pas y répondre positivement. Mais cette saleté de conscience arrive à m'en dissuader.

Dire non à la femme qui m'a rendu un millier de services quand elle m'en demande un, c'est pas sympa, je suis un connard parfois, mais pas à ce point-là. «  Je fais des crises de panique parfois la nuit en plus, je voudrais pas imposer ça à un enfant ou à... Bref ? Ki Tae? » Imposer ça à moi ne la gêne pas, non. C'est que pour moi, il y a une part de vérité dans ce qu'elle dit. Je le sais, il nous est arrivé de partager le même lit et... elle a du mal à rester de son côté. J'hausse les yeux au ciel. « Je vois pas d'inconvénients. » En fait, j'en vois au moins deux : on est des ex, et on risque pas vraiment de passer la nuit sans s'amocher. Mais je le dis pas de voix haute, sinon je me fais tuer.

Alors j'attends qu'on nous laisse seuls avant d'entamer les négociations, même la mine déçue du moniteur me laisse indifférent. « T'aurais dû te contenter du gosse. Lui au moins est assez petit pour pouvoir se trouver une place quand toi tu fais l'étoile de mer. » Je souris, la taquinant gentiment avant de me diriger vers la tente, la laissant y pénétrer avant moi. « Non plus sérieusement, ça me dérange pas de passer la nuit à la belle étoile si c'est trop bizarre de dormir avec moi. » Qu'on ne dise plus que je connais pas le mot "galanterie".

«  Tu préfères rejouer Brokeback Moutain avec Papa Scout là-bas ?  » Même si je connais pas la référence, je saisis le sous-entendu et grimace de dégoût. Comment peut-elle autoriser à son esprit, une seule seconde, de se faire des films pareils ? Mais je suppose qu'elle a intérêt que je sois gay puisqu'elle vient de m'inviter sous la tente. En plus, elle dit non à ma proposition de la laisser seule. « Je vais faire ce que je peux pour rester tranquille, hm ? Si je fais un truc trop bizarre, tu me réveilles d'accord ? Je t'en voudrais pas. Merci de m'avoir évité ça.  » Sans faire attention à ce qu'elle fait, je murmure un « Bonne nuit.  » , moi-même content de lui avoir épargné de passer une nuit à l'affût.

Le sol, c'est pas très moelleux, mais malgré l'absence du grand confort, il me faut pas plus de quelques minutes pour comater. Je suis tellement fatigué que j'en deviens assez naïf pour croire que, quoi qu'elle fasse, je suis pas prêt de me réveiller. A peine une demi-heure plus tard, elle me prouve que j'ai tort. Les coups auxquels j'ai droit ont raison sur mon sommeil. Il fait froid et je ne peux même pas compter sur la couverture pour me réchauffer puisqu'elle réussit à s’emmêler dedans. Mais quand je ne suis plus qu'un copain peluche, je retrouve un peu d'espoir et ferme les yeux. Et c'est là qu'elle décide d'avoir besoin d'un oreiller humain pour dormir. Elle s'immobilise toujours pas, alors dans un geste de désespoir, je passe fermement mon bras autour de sa taille pour qu'elle reste... sur moi. Y a plus calme et moins bizarre comme nuit.

Je soupire, cette fille est capable de passer une nuit tranquille à Bagdad. Puis, un sourire étire mes lèvres, et je ne peux m'empêcher de prendre entre mes doigts une de ses mèches de cheveux pour lui en faire une moustache le temps de quelques instants, comme pour me venger. Je finis tout de même par la replacer derrière son oreille. Mes yeux fixent ensuite le ciel, puis je les referme. C'est sa voix qui me réveille d'une courte nuit. « Euh... Tu m'expliques ?  » J'hausse les sourcils en l'invitant d'un mouvement de la tête à se redresser. « T'expliquer pourquoi t'es en train de baver sur ma chemise ? »

Je me redresse et m'étire, j'ai mal au dos, mal au crâne, et je risque de me faire poursuivre avec une hache jusqu'au bout de la forêt si le moniteur apprend ce qu'il a raté à cause de moi. « T'as fait assez de choses bizarres pour me donner le droit de demander une lettre d'excuse de pas moins de 1000 mots. » Je dis ça en souriant et me lève pour aller chercher mes vêtements qui ont surement séché. « Mais si tu me fais un petit déjeuner digne de ce nom, je suis prêt à supprimer les photos que j'ai prises. »