On le comprend facilement en croisant sa moue renfrognée pour la première fois, mais Eun Ji n'est pas le cadeau du ciel qu'on aimerait s'imaginer en contemplant son visage d'ange. Grincheuse, solitaire, elle fait plus bûcheron aux sombres secrets que jeune femme en recherche d'emploi et effectivement, c'est rare de la voir sourire, plutôt inexpressive ou agacée la plupart du temps. 
Loin d'être sociable, les gens l'intéressent peu, et son chat, la nourriture et son ordinateur trouvent plus de grâce à ses yeux que les personnes les plus gentilles ou les plus belles. Bien évidemment, vous gagnez des points bonus si vous lui offrez à manger – elle ne se gênera d'ailleurs pas pour vous faire comprendre que puisqu'elle vous fait grâce de sa présence, vous pouvez bien payer la bouffe.

Insupportable, vous semblera-t-elle. Chiante, invivable et qui jure plus qu'un charretier, partager sa bulle est un challenge de tout instant et c'est bien pour ça qu'elle ne laisse personne y rentrer. Misophone sur les bords, le moindre son l'agace et elle se renfrogne pour un rien. Ce qui pourrait être nuisible à sa vie sociale, si toutefois elle en avait une - elle possède très peu d'amis, par choix tant que parce qu'elle semble trop intimidante pour être approchée, et que ceux qui s'y essaient se font envoyer paître de toute manière.

Reine de la procrastination, elle se fout de tout et remet tout à demain mais quel que soit son job, elle le fera sans fautes. La responsabilité ne l'effraie pas : adaptable, elle est toujours préparée à tout et connaît ses alternatives, du moins sur le plan pratique. Car chez elle, les sentiments prennent peu de place : plus analytique que sentimentale, elle cherche toujours à tout comprendre, ce qui ne lui facilite pas la tâche quand elle est déjà, émotionnellement, un peu déconnectée. Elle aime les preuves, le concret, la mécanique des choses qui la rassurent davantage que l'instabilité des émotions humaines. Au-delà de ce qu'elle aimerait faire croire, cependant, elle possède ce côté romantique mal assumé, un peu rêveur sur lequel elle essaie cependant de faire une croix.

Eun Ji ne se fait aucune illusion sur la dureté du monde : elle l'a côtoyée, elle n'a vue ravager sa vie et au-delà de sa conscience du monde dans lequel elle vit, elle est très pessimiste quant à la nature humaine. Opportuniste, franche et parfois trop, elle n'est cependant pas méchante – elle n'en dormira pas si elle blesse quelqu'un dont elle se soucie un tant soit peu. Moins rancunière qu'elle tente de le faire croire, elle a un cœur un peu trop grand pour être aussi insensible qu'elle ne l'aimerait. Quand quelque chose lui importe vraiment, elle fait preuve d'une rare détermination à leur égard, parfois trop pour finir souvent déçue.

Très fière, elle estime beaucoup ses parents et ne se laisse jamais marcher dessus, autant qu'elle ne laisse quiconque cracher sur ses géniteurs sans montrer ses crocs. Ne vous fiez pas à son apparence fragile – dotée de valeurs familiales et d'amitié, elle se montre très agressive envers ceux qui s'en prennent aux siens. Sa loyauté est entière et n'a pas d'égal, et si vous faites partie de ses quelques proches, vous avez à vos côté une personne qui se sacrifiera pour vous en toute occasion.

La gloire n'a jamais vraiment sonné à la porte des Go : un père plombier, une mère qui servait dans un restau du coin et à leur plus grand désespoir, de tels emplois ne permettaient pas d'élever deux enfants. C'est ainsi qu'Eun Ji grandit dans un quartier modeste d'Ulsan, séparée d'une sœur jumelle qu'elle ne connaîtrait jamais mais aimée doublement par des parents qui malgré la difficulté de leurs situation ne laissèrent jamais leur enfant connaître le besoin.
C'est une enfance typique qui écrivit les premières pages de la vie de la jeune femme, partagée entre l'école où ses notes correctes lui permettaient de réussir chaque examen haut la main et les amis, un peu moins nombreux, avec lesquels elle passait de plus en plus minime – l'adolescence arrivait et avec elle, le merveilleux monde des responsabilités : c'est Eun Ji elle-même qui, à ses dix-sept ans, décida de participer à l'effort familial en travaillant plusieurs mois par an. Passant des trucs bâteaux comme serveuse dans le restaurant où travaillait sa mère jusqu'à tondre les pelouses des vieux riches du quartier à l'autre bout de la ville, la gamine finit par se trouver un talent pour l'électronique et ce ne fut qu'une question de mois avant qu'elle ne se spécialise dans la réparation de matériel en tout genre.

« Tu sais que tu pourrais te faire dix fois plus de frics avec ça », lui avait-on fait remarquer un jour.

Elle savait. En fait, l'idée lui avait plusieurs fois traversé l'esprit, mais l'idée de se faire du fric illégalement pendant que ses parents trimaient pour un salaire minimum l'insupportait. Ce n'était pas dans les principes qu'elle avait hérité d'eux, et pourtant, la douce tentation du fric sans trop d'efforts, l'indiscutable envie de voir son père rentrer à la maison avec un sourire, le besoin morbide d'éloigner sa mère de son connard de patron. C'est peu à peu, et guidée par un de ses clients qui avait eu « un virus en consultant ses mails » (excuse foireuse à laquelle elle croyait de moins en moins), qu'Eun Ji, à peine dix-huit ans, fit du hacking de sites en tout genre sa spécialité. Des cyber-menaces aux extorsions de petites sommes sur OkCupid, tout y passait et l'appât du gain toujours plus important, elle finit par franchir la ligne de confiance de son nouveau patron et à garder la majorité des gains pour elle-même, s'empêtrant dans des affaires toujours plus importantes et discutables.

Si ses parents étaient au courant ? Ils le furent le lendemain de ses vingt ans, quand ils reçurent un courrier leur demandant de comparaître en justice pour extorsions de fonds. Qui l'avait balancée ? Son ancien patron, qui avait réussi à s'en tirer avec trois mois fermes en balançant une autre partie du réseau. Pour elle, c'était treize mois.

Passée l'année remplie de ruptures nerveuses, de matchs de basketball et de dressage de cafards pour emmener des cigarettes d'un point A à un point B, il était temps pour Eun Ji, vingt-et-un ans et déjà ex-taularde, d'entamer ce qu'ils aimaient appeler la « phase de réinsertion dans la société », ce qui incluait retrouver le contact humain dans des séances de groupe, gagner honnêtement sa vie chez McDo, et surtout, surtout avoir son ordinateur et autres outils technologiques surveillés en permanence pour vérifier que les seuls sites qu'elle fréquentait étaient Wikipédia et Amazon, qu'elle ne contactait que sa mère et pas des traffiquantes de cannabis sorties en même temps qu'elle. Toutefois, on ne change jamais ses vices et une fois leur garde relâchée, Eun Ji reprit son activité – de moindres affaires, juste le temps de retrouver un vrai job, se promit-elle. C'est en tout cas ce qu'elle fit jusqu'à avoir la bonne idée de fouiller les fichiers de son hôpital de naissance, histoire de passer le temps, et de découvrir qu'elle n'était pas la seule à avoir vu le jour ving et un ans plus tôt : une autre petite fille, déclarée officiellement comme sa jumelle, avait également un certificat déclarant ses parents comme les Go. Seul problème : elle était déclarée comme décédée à la naissance d'une insuffisance respiratoire.

Conneries. Ne se souciant désormais plus de la promesse faite à ses parents de ne plus toucher à un ordinateur, elle les confronta avec le certificat de naissance de celle qui semblait être sa jumelle et tout ce qu'elle put obtenir de leur part fut de vagues informations, données par les parents de la jeune femme eux-mêmes : sa jumelle s'appelait Katherine, et la dernière fois qu'elle avait donné signe de vie, elle était partie à Incheon.
Il n'avait fallu à Eun Ji que quelques heures pour décider de quitter sa ville natale et partir à la recherche de cette sœur disparue et impossible à contacter autrement. C'est avec un sac rempli de quelques fringues, beaucoup d'argent, un ordinateur portable et rien d'autre pour tout info que le nom de Hwang Katherine, qu'elle a débarqué dans la ville, deux mois avant ses vingt-trois ans, pour retracer son histoire et repartir de zéro. Le cas social, la déception de la famille était prête à saisir une seconde chance.