« Revoyons-nous », disait le message. Woo Seok l’avait lu, puis relu, et encore lu. Un café, qu’il proposait. Un dimanche. À 15h. Au début, il avait cru à une mauvaise blague, un mauvais numéro. Pourtant, celui du destinateur ne mentait pas : il était toujours dans ses contacts, bien loin dans la liste des anciennes conversations. Jun Seo. Jun Seo voulait le revoir le week-end prochain et ne mentionnait aucun détail supplémentaire.
Il avait refermé son téléphone sans répondre, et les jours qui avaient suivi avaient été horribles.
Il avait fui Busan en espérant que son passé ne le laisse tranquille : pourtant, le voilà qu’il lui sautait au visage et fouillait dans ses souvenirs sans ménagement. Premiers mots, un peu maladroits. Déclaration officielle et très risquée. Premier baiser, d’une tendresse propre à l’instant. Première fois, émouvante. La nuit dans les bras d’un autre, où il s’était oublié. Et cette rupture abrupte, trop précipitée, trop silencieuse. Évidemment, il s’était, à l’époque, senti coupable de le trahir, de le laisser tomber. Ce n’était cependant rien comparé à la culpabilité qui l’avait assailli en voyant les pixels de son téléphone former le fameux prénom. Bon sang qu’il avait été con. Influençable. On lui aurait offert la Lune qu’il y aurait cru. Et c’était comme ça qu’on perdait les plus belles étoiles.
Enfin, sa deuxième idylle avait été belle, elle aussi. D’un autre genre, disons. Il n’aimait pas trop en parler, cependant. Lorsqu’on l’interrogeait sur ses précédentes histoires, il racontait la première… En restant vague sur sa fin. Parce qu’admettre être le méchant, ça prenait un minimum d’humilité. Et son orgueil gonflable n’était pas prêt de lui permettre ça. Il lui arrivait, quelques fois, aussi de causer de ses amours d’après… Mais pas du deuxième. Sujet tabou. De toute façon, ça ne risquait d’intéresser personne. Et puis, la mission de son départ à Incheon était de repartir à neuf : il fallait donc que le jeune homme s’y applique sérieusement.
C’est la raison pour laquelle, trois jours après avoir reçu la fameuse invitation, il y répondit, affirmant à son ex qu’il serait là. Un refus l’aurait sans cesse hanté, et ç’aurait été pire s’il avait ignoré la demande. Puis, il devait lui parler. Se confondre en excuses, bien que ce serait un peu tard. Entendre sa voix, aussi, l’entendre l’insulter s’il le fallait, mais l’entendre tout de même. Inconsciemment, il s’imagina un tas de scénarios et de discussions possibles. Ensuite, les questions l’envahirent. Avait-il changé ? Que faisait-il à Incheon ? Avait-il continué dans le domaine de la psychologie ? Quels étaient ses projets du moment ? Trop d’interrogations. La plupart demeureraient sans doute sans réponse : il n’oserait quand même pas lui parler comme si ne rien était.
Arriva finalement dimanche. Accompagné d’une pluie à en faire déprimer les plus optimistes, évidemment. Déjà qu’il craignait mourir de nervosité, déjà que le temps avançait à pas de tortue… Il fallait en plus que le temps soit plus gris que ses pensées. Gé-nial. Il prit une douche. Mangea. Puis en prit une autre, parce que le temps passait plus vite sous l’eau chaude. Tout cela était une très mauvaise idée. Il ne voulait plus y aller. Il se sécha et enfila un jean, puis un pull rouge qu’il changea finalement pour une chemise. Songea à lui poser un lapin. Finit par mettre les pieds dans ses bottes noires, s’armer d’un parapluie et prendre ses clés puis son argent, avant de sortir. Le café était tout près de chez lui et il s’y trouverait en quelques minutes de marche à peine. La pluie était glacée et il fut rapidement parcouru de frissons, le stress n’aidant pas à sa cause.
Une fois devant le bâtiment, le jeune Cheong inspira un grand coup et poussa la dernière porte qui le séparait de celui qu’il n’avait pas vu depuis un bail. Il y était probablement déjà : le plus vieux n’était jamais en retard… Bingo. Table du fond, qui surveillant avec attention l’entrée. Une fraction de seconde plus tard, leurs regards se croisaient. Woo détourna le sien, et il lui sembla bien que l’autre fit de même. Bon. S’avançant lentement vers l’endroit où l’autre homme était assis, il finit par s’y rendre et à rester planté à côté de la chaise libre un moment, en silence.
- Je… Je peux m’asseoir?
Évidemment, crétin. C’était toi qu’il prévoyait, pas Dieu en personne! Wooseok attendit néanmoins l’autorisation de son interlocuteur pour déposer ses fesses sur le siège qui lui parut dur, froid. Junseo devait peiner à le reconnaître, tient. Si son ex n’avait pas beaucoup changé, lui avait vieilli et, évidemment, coupé ses cheveux avant de leur faire retrouver une couleur plus naturelle. Enfin. Il daigna lever les yeux vers celui qui était maintenant en face de lui, puis fit une moue embarrassée. Les mots ne lui venaient pas… Il avait trop à dire. Peut-être ferait-il mieux de le laisser parler? Après tout, le rendez-vous était son initiative…
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Sujet: Re: everything left unsaid ♔ ft. kim jun seo Dim 1 Fév - 12:15
hey I'm back, she said. it wasn't easy, but somehow I managed. —1030 words.—
Il y avait songé des dizaines de fois. Des retrouvailles. Il avait imaginé la scène des centaines de fois, avec des variations infimes ou totales. Parfois, il imaginait des retrouvailles joviales, comme s'il ne s'était rien passé : ils se mettraient à parler avec calme, et quelques minutes après, ils riraient ensemble de tout et de rien. D'autres fois encore, il s'imaginait des retrouvailles chaotiques et violentes. Il s'imaginait devenir fou, dire ce qu'il n'avait jamais osé dire, insulter Wooseok de tous les mots et même le frapper. Il laissait ses pensées s'emballer, maîtresses de ses envies enfouies, des remords et regrets qui le rongeaient. Il ne détestait pas Wooseok, non. Junseo n'était pas le genre de personne qui détestait et qui était rancunier. Parce qu'il était trop responsable et trop gentil pour bien comprendre que la faute n'était pas toujours la sienne. Pour lui; tout était à cause de lui. Si on l'avait trompé, c'est bien parce qu'il était ennuyeux, et pas autre chose. Après tout, Wooseok avait été celui à déclarer son amour en premier, s'il s'était lassé, c'est bien qu'il avait déçu, que quelque chose clochait dans leur relation. Junseo, pourtant, n'avait rien vu venir. Il trouvait leur relation parfaite, sans problèmes, tout se passait bien dans la tendresse et l'amour. Mais plus il y pensait, plus il se rendait compte que le problème était là. L'amour, c'est encore plus beau quand c'est orageux, quand la pluie se déchaîne, quand les éclairs foudroient les arbres et les enflamment, puis, que le soleil refait surface, que la pluie se calme et finisse d'éteindre les incendies. L'amour, c'était une tornade qu'il fallait savoir contrôler; il fallait la laisser tout avaler sur son passage de temps en temps mais il était important de savoir tout reconstruire après. Et là était l'erreur de Junseo : Il n'avait laissé ni pluie, ni orage, ni tempête se lever. Il avait cru bon faire de sa relation une mer calme.
Comme un signe, la pluie tombait ce jour-là. Il n'avait pas regardé la météo lorsqu'il avait convenu de la date du rendez-vous. C'était simplement parce que c'était plus pratique; le dimanche ils avaient peu de chance d'être tous les deux occupés et surtout, lui, n'avait pas à travailler. Ses heures en tant que psychologue lui prenait une grande partie de la journée en semaine, et quand il finissait, il n'avait qu'une envie en tête : rentrer chez lui, manger, dormir. L'habituel réconfort des travailleurs. C'est d'ailleurs pour ça qu'il hésitait à s'acheter le chien dont il avait toujours rêvé ; aurait-il le courage de s'occuper de lui et d'aller le promener une fois sa journée de travail passée ? Il en doutait fortement. Ce dimanche matin, il n'avait pas eu besoin de motivation pour se lever. Il avait même très mal dormi. Dès qu'il fermait les yeux il était pris d'une sorte de sursaut intérieure. Comme un coup dans le ventre, qui lui disait "c'est demain". Il était mort de peur, bien évidement. Pendant les dernières heures avant 15h, il regretta même d'avoir contacté le démon de son passé. Il avait l'impression d'être à nouveau l'homme fragile et démuni après s'être fait trompé. Et paradoxalement, il avait l'impression que tout ceci n'était qu'une vaste plaisanterie. Il ne verrait pas Wooseok, il ne lui avait pas répondu. Il allait simplement attendre au café, tout l'après-midi, seul, à écouter la pluie tomber contre les baies vitrées, à entendre les autres clients bavasser sur des sujets plus futiles les uns que les autres.
Mais ce n'était pas le cas. Il était bien trop en avance, il avait attendu vingt minutes tout seul, osant tout de même commander un cappuccino et des pancakes pour faire passer le temps. Mais ses pensées étaient trop occupées, son ventre trop noué et son regard trop affairé à s'attarder à l'entrée dès qu'il entendait quelqu'un pénétrer dans la pièce, et sa commande refroidit. Il venait d'arriver. Il le reconnu facilement, après tout ça ne faisait pas si longtemps que qu'ils s'étaient séparés et on n'oublie pas le premier amour de sa vie comme ça. Il avait changé, certes. Il avait gagné quelques années, il avait un air moins enfantin et ses cheveux noirs lui donnaient aussi un air plus masculin. Son cœur rata un battement, ses doigts se mirent à trembler et il fut pris par l'envie de s'enfuir en courant, loin, très loin. Leurs regards se croisèrent et s'enfuir n'était alors plus possible. Il se sentait piégé, un piège qu'il avait conçu lui-même. Quelle sensation désagréable. Étonnamment, Wooseok ne semblait pas plus à l'aise que lui. Peut-être était-il lui aussi angoissé, après tout ? Il était humain, il pouvait ressentir ce genre de choses lui aussi. La principale question de Junseo, à ce moment-là, c'était : à quoi pense-t-il ? Est-ce que son cadet voyait leur relation passée comme une erreur ? Est-ce qu'il lui était arrivé de regretter ? C'était trop difficile à deviner et, bien entendu, il n'oserait pas le demander par lui-même.
— Oui, oui, bien sûr. Je vais pas te dire de te mettre debout. Avait-il répondu en accompagnant sa réponse d'un petit rire, comme pour essayer de détendre l'atmosphère. Il avait l'impression qu'il allait vomir, tant il se sentait mal. Affreusement mal. Ses doigts tripotaient nerveusement son porte-feuille alors que son regard se balayait dans la salle, s'attardant sur tout ce qui ne s'appelait pas "Wooseok". Junseo savait que c'était à lui de parler, après tout c'était lui qui avait incité la rencontre à se passer. Il passa une main dans ses cheveux courts, comme pour chasser la nervosité qui s'était emparée de lui.
— Ça fait longtemps. Je me demandais comment ça allait pour toi, je voulais un peu de tes nouvelles. Il expliqua d'une voix qui se voulait calme et maîtrisée. Il n'avouerait bien sûr pas que son ex lui manquait, qu'il lui avait gâché des mois de sa vie, qu'il refusait de sortir de ses pensées. Ce serait trop gênant. Il osa enfin relever les yeux vers son cadet, lui adressant un petit sourire qui découvrait légèrement ses dents du haut. C'est gentil d'être venu, en tout cas. Je savais pas si tu allais accepter de me voir, ça me fait plaisir.
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